Autriche, les traditions inventives du Bregenzerwald

Autriche, les traditions inventives du Bregenzerwald

Philippe Bourget,
17-10-2021
Cette région située près de la frontière suisse, à l’ouest du pays, conforte l’image d’un pays aux montagnes alléchantes. Si les paysages sont irréprochables, cela tient autant au respect des traditions qu’à l’intelligence de les faire fructifier. Cap sur ce territoire d’innovation accueillant et relaxant.

 

Bregenzerwald, une montagne autrichienne « carte postale »

Versants à vaches et chalets en bois, voilà le diptyque gagnant du Bregenzerwald. C’est la promesse de balades routières et pédestres bucoliques, au fil de villages et de paysages d’une beauté virginale.

Paysage à Schoppernau Philippe Bourget ©

Ce territoire du Vorarlberg, région la plus à l’ouest du pays, n’a rien à envier à ses voisins, le Tyrol ou le land de Salzbourg. On y trouve le même accueil amical de la part des locaux, les mêmes prestations de qualité dans les hébergements et les restaurants, les mêmes paysages de montagnes verdoyants… et autant de villages typiques, tous plus splendides les uns que  les autres. Où est la différence, alors ? Peut-être dans un soin apporté à chaque détail encore plus pointu, avec des maisons « parfaites » et des versants soignés comme des jardins… et un peu moins de monde.

 

Façades couleur miel 

Villages splendides, disions-nous… Ici, la tradition veut que l’on recouvre depuis toujours les façades des maisons de bardeaux de bois. Cet habillage, en pin local, leur donne un cachet unique. Et ne croyez pas que les petits bardeaux carrés ou arrondis (les plus jolis et les plus chers, mais beaucoup de familles « ne comptent pas », pour le plaisir du beau) soient de vulgaires chutes de bois récupérées à la va-vite. Le sens de coupe, l’épaisseur, la pose… tout est soigneusement étudié pour qu’ils protègent les façades le plus longtemps possible, en résistant à l’humidité.

Chalet traditionnel et bois à Bödele Philippe Bourget

Avec le temps, ils prennent une patine sombre qui, éclairée par le soleil, donne aux maisons une couleur miel magnifique. A Au, Schoppernau, Schwarzenberg, Bezau, Egg… et dans tous les villages du Bregenzerwald plantés devant l’arrière-scène de montagnes vertes, l’architecture ne vous lasse jamais. Les habitations traditionnelles affichent ainsi la fierté de leurs propriétaires. Et leur opulence, en cumulant parfois jusqu’à sept fenêtres de rang aux rez-de-chaussée. Si l’on ajoute que ces bourgs sont traversés de ruisseaux argent et émaillés de fontaines, le plaisir de les parcourir à pied est entier.

Estives au vert éclatant 

 Le plaisir, c’est aussi de conduire sur ces routes de montagnes. Elles partent à l’assaut des versants en livrant des panoramas à 180° sur les vallées. Ici, pas de friches, ni de parcelles non entretenues. Le crédo des habitants, c’est la préservation du pastoralisme et des paysages de montagnes. Le Bregenzerwald applique ainsi le programme autrichien OPÜL. Il promeut des pratiques agri-environnementales vertueuses avec, en contrepartie, le financement par l’Union Européenne des fermiers, qui s’engagent à maintenir les prairies de fauche, à pratiquer un élevage bovin extensif et à entretenir la biodiversité. Résultat : un décor de carte postale, avec des pelouses de vallées, de moyenne altitude et des estives d’un vert éclatant. La récompense pour les agriculteurs ? Des productions mieux valorisées. Et, pour le consommateur, un fromage d’alpages remarquable, le célèbre Bergkäse au lait cru, doté d’une appellation.

Paysage à Hittisau Philippe Bourget ©

Tourbières et plantes comestibles 

La visite du Bregenzerwald vous conduit aussi à découvrir des paysages plus surprenants. Comme ces tourbières (moor area) à Schwarzenberg-Bödele, les Fohramoos, petit paradis de nature où l’on est initié aux plantes comestibles par une guide naturaliste, Katharina Moosbrugger (naturerfahren.at). La jeune femme en connait un rayon sur les mousses et les petites fleurs qui tapissent le sol de ce sous-bois et de cette prairie spongieuse.

Tourbières des Fohramoos Philippe Bourget ©

Bregenzerwald, un territoire d’avance

Conservateur comme on peut l’être dans les vallées montagnardes, le Bregenzerwald est aussi une région innovante, résolument tournée vers l’avenir. Pionnière en développement durable et en matériaux bio-sourcés, elle imagine le futur en misant sur les savoir-faire ancestraux.

Le Bregenzerwald s’est rarement endormi sur son passé. Ici, une maison typique traditionnelle en côtoie souvent une autre, design et moderne. Elle aussi est recouverte d’esthétiques bardeaux de bois mais elle sera fréquemment équipée de panneaux solaires. Et parfois même, alimentée en eau chaude par une centrale à biomasse. C’est le cas à Au, village modèle en la matière. Voilà ce que nous explique Walter Lingg, propriétaire de l’emblématique Hôtel Krone, établissement connu pour accueillir une importante clientèle francophone – son patron parle français. Dans cette commune de 1 500 habitants dominée par le Kanisfluh (2 044 m), une centrale à biomasse a été mise en service en 2010. Le bois provient des forêts locales, gérées par une coopérative communale. De sorte, la ressource est intelligemment maitrisée. Ajoutées aux quelques équipements privés utilisant aussi le bois, « 90% environ du village est chauffé avec des énergies renouvelables », indique Walter Lingg.

Projet « Bus : Stop », à Krumbach Philippe Bourget ©

Werkaumhaus , laboratoire artisanal

Ce village où exercent encore 75 agriculteurs (élevage bovin, pour le lait et le fromage) s’était déjà fait connaître au 17ème s. Ses artisans, spécialistes de l’architecture baroque, exportaient leur savoir-faire jusqu’en France (Alsace). Voilà une autre force du Bregenzerwald : plutôt que de s’encroûter dans des poncifs, la tradition artisanale se renouvelle sans cesse, grâce à l’apport de technologies. Un lieu incarne parfaitement cette fusion entre l’ancien et le moderne : la Werkaumhaus, à Andelbusch. Ce laboratoire et plateforme artisanale, ouverte à tous (exposition de créations, café-snack, librairie…), est hébergée dans un bâtiment design. Elle fédère près d’une centaine d’artisans du Bregenzerwald, charpentiers, maçons, fromagers, brasseurs de bière, spécialistes du textile… Héritiers de savoir-faire anciens, ils y partagent leurs connaissances et sont mis en relation avec des designers internationaux, intéressés par l’expérience. Cela permet ainsi de stimuler la créativité. « Il existe ici un certain sens commun de la qualité. Les artisans ne se polarisent pas sur leur propre business, la collaboration est très efficace », résume Belinda Rukschcio, la directrice de la Werkaumhaus.

La Werkraumhaus, à Andelsbuch Philippe Bourget ©

Cosmétiques Susanne Kaufmann

Un peu partout dans le territoire, on croise des PME rurales installées dans des bâtiments durables, spécialistes de l’architecture bois, des matériaux bio-sourcés, de la construction innovante… Leur expertise est demandée en Autriche mais aussi à l’étranger. A l’image de certains Lands allemands où l’on trouve quantité de PME en zones rurales, le Bregenzerwald est maillé de petites sociétés performantes qui contribuent à son dynamisme économique… dans un environnement pour le moins agricole. Un dernier exemple témoigne de l’articulation entre tradition locale et performance : les produits cosmétiques Susanne Kaufmann. Fondées sur l’usage des plantes de montagne autrichiennes, cette entreprise prospère née dans le village de Bezau (où se trouve l’hôtel familial The Post, trendy et archi), a investi avec succès, en Europe et au-delà, le marché des produits de soins « bios » et Premium.

Belinda Rukschcio, directrice de la Werkraumhaus Philippe Bourget ©

Une région où les femmes excellent

« Attention » aux femmes du Bregenzerwald ! Obligées jadis de s’occuper de tout quand les hommes partaient colporter ou vendre leurs bras experts, elles ont toujours été autonomes et fortes. Exemples avec ces sites de visite étonnants et ces personnalités talentueuses.

Rien n’est possible sans elles ! Dans le Bregenzerwald, les femmes ont toujours occupé une place majeure dans la vie économique, sociale et même artistique. Ainsi, c’est une femme qui dirige la Werkaumhaus ; une femme, aussi, qui manage l’entreprise de cosmétiques qui porte son nom, Susanna Kaufmann (voir article « Un territoire d’avance »). Un lieu, en particulier, illustre la place prépondérante qu’elles occupent dans la région : le musée… des Femmes, à Hittisau. Il s’agirait de la seule initiative de ce genre au monde en milieu rural. Fondé il y a 21 ans par Elisabeth Stöckler, historienne originaire du village, il a été créé pour illustrer les thèmes rattachés culturellement à la féminité : le courage, les contraintes sociales, les violences, les souffrances du corps… Installé dans un bâtiment en verre et bois design, ce musée associatif est géré par les femmes d’Hittisau. La plus jeune a 17 ans, la plus âgée, 78 ans. 20 personnes (que des femmes), y travaillent, sous la direction de Stefania Pitscheider Soraperra. Le musée fonctionne sur le principe d’expositions temporaires. Après la très remarquée « Giving Birth and Being Born », sur la maternité et la naissance (jusqu’à fin octobre 2021), les mois de novembre et décembre verront à l’affiche l’expo « Sexualize Violence » (délocalisée dans le village voisin de Feldkirch, en raison de travaux au musée). A partir du 19 février et jusqu’au 31 octobre 2022, le public pourra découvrir « Persecuted, Engaged, Maried », sur les mariages arrangés par des femme juives pour échapper aux persécutions nazies.

Cueillette de plantes à Schwarzenberg Philippe Bourget ©

Magdalena Metzler et sa ferme « pilote »

Dans le genre femme active, Magdalena Metzler, à la ferme Metzler, illustre ce penchant énergique et courageux. Mère de quatre enfants, elle copilote avec son mari et ses deux beaux-frères une exploitation pour le moins pilote, dans le village d’Egg. Etable et bâtiments de stockage et de production durables, recours au bois et à la (quasi) autonomie énergétique… la famille a conçu le ferme en pensant « vert ». Elle est à la tête d’un troupeau de 100 chèvres et 15 vaches, élevées pour le lait, le fromage (dont le célèbre Bergkäse au lait cru) et… les cosmétiques. Car depuis 35 ans, cette innovation a construit la notoriété des Metzler. Le petit lait sert en effet à fabriquer des produits de soin pour la peau, distribués en Autriche, Allemagne, Suisse et France. « Notre gamme compte 40 références. Et nous fabriquons aussi les cosmétiques de Susanne Kaufmann », explique la dynamique Magdalena Metzler. Une boutique attenante à l’étable et à la laiterie permet aux touristes de repartir avec des produits de la ferme, vendus par une équipe… féminine.

Magdalena Metzler, à la ferme et produits cosmétiques Metzler Philippe Bourget ©

Angelika Kauffmann Museum

 On n’oubliera pas non plus d’aller faire un tour à l’Angelika Kauffmann Museum, à Schwarzenberg. Pas tant pour l’accrochage d’œuvres, assez restreint, que pour découvrir la vie et le travail de cette artiste peintre locale du 18ème s., anticonformiste et indépendante. Aménagé dans une maison typique datant de 400 ans, le musée rappelle l’histoire de cette femme un peu « scandaleuse » pour l’époque. Mariée deux fois, polyglotte, musicienne et douée pour les mathématiques, cette amie de Goethe, parmi les premières diplômée femme de l’Académie de Bologne (elle a grandi en Italie, son père était originaire de Schwarzenberg), a réalisé environ 1 000 peintures. Parmi elles, des autoportraits, ainsi que de gens et des maisons du village. Le musée accueille aussi des expositions.

Belinda Rukschcio, directrice de la Werkraumhaus Philippe Bourget

Un petit tour à Bregenz… capitale du Vorarlberg

Etonnement, la capitale du Vorarlberg ne se trouve pas dans le district du Bregenzerwald. Peu importe, après une immersion joyeuse dans les montagnes, la « ville du lac » complète logiquement la découverte du territoire.

Les bords du lac de Constance à Bregenz Philippe Bourget ©

Hasards du découpage administratif, Bregenz, 30 000 habitants, n’est pas… dans le Bregenzerwald. La capitale du Vorarlberg se trouve dans un autre district. Mais le touriste n’a que faire de ces subtilités juridictionnelles. Bregenz est située à moins d’une heure des villages de montagne du Bregenzerwald et la cité vaut de toute façon le détour, ne serait-ce que par sa situation remarquable sur les rives du lac de Constance. A propos de ce lac, une précision : les Autrichiens (comme les Allemands) l’appellent Bodensee, en référence au village allemand de Bodman. C’est donc vers les rives les plus orientales… du Bodensee, à deux pas des frontières allemande et suisse, que le visiteur arrivant à Bregenz converge immanquablement. La gare, d’ailleurs, n’est qu’à quelques mètres du littoral.

L’arène du Festival d’opéra

Et qui dit rives dit promenade. C’est l’atout numéro un de Bregenz : pouvoir humer cet air de Riviera lacustre qui n’est sans rappeler celui de Montreux ou de Lausanne, en Suisse. Ombragée et animée, la balade le long d’une longue balustrade en fer très « 19ème s. », est jalonnée de cafés, de glaciers, de kiosques… et de bancs, parfaits pour une pause contemplative. A l’entame du front de lac, une immense bâtisse contemporaine interpelle. C’est l’arène du Festival d’opéra, la plus grande scène lacustre du monde (7 000 places dans les gradins) ! Depuis 1946, chaque été durant deux années de suite, s’y joue un classique du répertoire, mis en scène de façon « baroque ». Colorés, les décors et le show scénique sur l’eau ont fait la réputation de l’évènement. En 2022 et 2023 se jouera Madame Butterfly, de Puccini. L’autre bout de la promenade est occupé par le port. Des bateaux s’en échappent régulièrement pour des croisières sur le lac ou pour rejoindre, à la belle saison, les villes allemandes de Lindau ou de Constance.

Les bords du lac de Constance à Bregenz Philippe Bourget ©

Noyau de haute-ville isolé

Le cœur de ville mérite aussi une visite. Il commence juste derrière le bâtiment massif et contemporain du Vorarlberg Museum, dédié à l’art. Derrière, la Rathaustrasse est connectée, via la Schulgasse, à la Kaiserstrasse, la plus importante rue piétonne de Bregenz, bordée de magasins. Au bout, elle est prolongée par la Kirchstrasse, d’ambiance plus médiévale. S’y trouve, dans un joli décor de taverne avec terrasse, la Gasthaus Hirschen, un restaurant de très bonne réputation qui remonte… au 14ème s. Mais c’est alors qu’on pense en avoir fini avec la vieille cité que l’on découvre, depuis Thalbachgasse, un noyau de haute-ville, isolé sur une colline. Datant du début du 13ème s, cette enclave « fortifiée » et résidentielle (bizarrement assez peu touristique) est dominée par le château Deuring et la tour Saint-Martin. Cette dernière est couverte d’un toit à bulbe qui s’avère être l’un des plus grands d’Europe.

Bregenz, le haut de la ville Philippe Bourget ©